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La justice réparatrice pour guérir des « blessures de l’histoire »

Tom Dearhouse et Michael Lapsley posent côte à côte dans l'embrasure d'une porte.

Tom Dearhouse (à gauche) et Michael Lapsley (à droite) ont pris la parole hier, lors d'une rencontre ouverte au public, au Centre de justice des premiers peuples.

Photo : Lucie Brousseau - Centre de services de justice réparatrice

Avec ses crochets métalliques au bout de chaque bras, son œil borgne, sa casquette bleue et sa croix anglicane autour du cou, Michael Lapsley est un homme qui ne passe pas inaperçu. Mais plus qu’avec son style de pirate barbu un peu espiègle, c’est avec sa langue que le prêtre sud-africain veut marquer les esprits.

Celle-là, le terroriste qui lui a envoyé une lettre piégée pour le punir de son militantisme antiapartheid, un triste jour de 1990, n’a pas pu la lui enlever, contrairement à son œil et à ses deux mains, plaisante-t-il.

Or, la parole est une arme plus puissante que la violence, répète celui qui dit avoir tiré une leçon essentielle de cette attaque : c’est en partageant ses blessures et sa peine avec les autres, et en étant entendu et reconnu dans sa souffrance, qu’on peut vraiment avancer sur le chemin de la guérison.

Le septuagénaire se trouvait mardi 26 mars au Centre de la justice des premiers peuples de Montréal pour raconter cette histoire lors d'une rencontre publique organisée par le Centre de services de justice réparatrice, avec lequel il collabore depuis 2016 pour donner des ateliers au Québec.

Michael Lapsley tient une pipe, assis sur un canapé.

Michael Lapsley est en visite au Canada pour les prochaines semaines. Il a rencontré des membres des communautés autochtones et il se rendra également au Nunavik.

Photo : Lucie Brousseau - Centre de services de justice réparatrice

Mêlant la prise de parole et les activités créatives telles que le dessin et la sculpture, ces sessions de deux jours et demi visent à se libérer d’émotions douloureuses – tristesse, colère, haine –, pour qu’elles ne restent pas des poisons qui empêchent d’avancer, a expliqué le prêtre devant une salle comble.

Il y a deux chemins lorsque des choses terribles arrivent aux êtres humains. De victimes, ils peuvent devenir à leur tour bourreaux, en se blessant eux-mêmes ou en faisant du mal à leur entourage. L’autre chemin, c’est celui où de victimes, ils deviennent survivants, puis victorieux, car ils retrouvent de l’agentivité, une prise sur leur existence.

Blessures de l’histoire

C’est sur ce deuxième chemin que les ateliers veulent mettre ceux qui y participent. Michael Lapsley en a eu l’idée durant sa longue convalescence. En 1998, il crée l’Institut de guérison des mémoires pour offrir des espaces de rencontres entre personnes blanches et noires, afin qu’elles puissent témoigner de ce qu’elles avaient vécu durant l’apartheid – ce qu’elles avaient fait, ce qu’on leur avait fait et ce qu’elles regrettaient de ne pas avoir fait.

Michael Lapsley a ensuite été appelé au Rwanda, qui tentait de se relever du génocide de 1994, pour organiser des rencontres similaires. Les ateliers de guérison des mémoires ont alors essaimé dans le monde entier, y compris au Canada, où ils touchent un public varié, et notamment des Autochtones qui tentent de surmonter des traumatismes souvent indissociables de l’oppression et des injustices liées à la colonisation, ces blessures de l’histoire.

Tom Dearhouse et Michael Lapsley assis sur un canapé.

Tom Dearhouse (à gauche) et Michael Lapsley (à droite)

Photo : Lucie Brousseau - Centre de services de justice réparatrice

La présentation de Michael Lapsley a été introduite par Tom Dearhouse, aîné et gardien du savoir dans la communauté kanien'kehá:ka (mohawk) de Kahnawà:ke. Travailleur social, il est actif au sein de Kahnawà:ke Shakotiia’takehnhas Community Services, une organisation qui accompagne les membres de la communauté en difficulté.

Il a raconté son propre parcours, de la ville de Détroit, où il a grandi et fait des bêtises de jeunesse, jusqu’à la réserve où il s’est peu à peu réparé. Retrouver nos façons de faire, notre vision du monde, nos récits de création et de paix, voilà comment nous pouvons guérir du passé, a raconté celui qui garde encore des séquelles de la crise d'Oka. La paix, ce n’est pas l’absence de guerre, c’est un travail continu, a-t-il insisté.

Michael Lapsley a dit combien ses contacts avec les Autochtones ont été importants dans son propre cheminement. Les Samis de l’Europe du Nord, tout d’abord, qui lui ont permis de prendre conscience de la nécessité d’être entendu et reconnu dans sa souffrance.

Ils m’ont parlé du pardon du roi de Norvège, en regrettant toutefois que la société norvégienne dans son ensemble ne soit pas au courant de ce qui leur est arrivé. J’ai pris conscience de l’importance, pour les victimes, de faire connaître leur histoire. Être entendu, cru, reconnu, cela peut être un tournant dans une vie.

Il a aussi parlé des femmes autochtones arrernte d’Australie qui l’ont inspiré en utilisant la poésie pour guérir de leurs blessures. En tant qu’être humain, nous blesserons et nous serons blessés au cours de notre vie. La question est la suivante : comment répondons-nous? a-t-il lancé.

Justice réparatrice

La force de ces ateliers, c’est qu’ils abordent la mémoire collective et la manière dont elle influe sur les vies, témoigne Estelle Drouvin, directrice du Centre de services de justice réparatrice. C’est ce qui les lie au modèle de justice réparatrice, qui considère qu’un crime n’est pas seulement l’affaire de son instigateur et de sa victime, mais de toute la société, poursuit-elle.

Réparer, c’est remettre en marche. Quand il y a de la violence ou un crime, il faut recréer une relation de confiance dans un tissu social.

Une citation de Estelle Drouvin, directrice du Centre de services de justice réparatrice

Pour elle, ces ateliers permettent de travailler sur les préjugés et de relier les gens à un grand niveau de profondeur. C’est en faisant tomber nos forteresses, en revenant à une certaine humilité, qu’on peut se remettre en connexion avec les autres.

Rose-Anne Gosselin, qui est membre de la Première Nation de Timiskaming, estime de son côté que la richesse de ces ateliers, c’est leur simplicité. Tout le monde apporte son histoire et on est soutenu par le groupe.

Après en avoir elle-même suivi un, Rose-Anne Gosselin est devenue facilitatrice, la seule Autochtone à avoir été formée à cette méthodologie à ce jour. J’ai toujours eu un intérêt pour tout ce qui peut contribuer à la guérison individuelle et collective, détaille celle qui, en plus de cette activité bénévole, travaille pour l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador.

Kwena Bellemare-Boivin dans devant une petite foule.

Owen Mayo (à droite) et Kwena Bellemare-Boivin (à gauche) considèrent que la musique est un bon moyen de guérison.

Photo : Lucie Brousseau - Centre de services de justice réparatrice

Il y a actuellement cinq facilitateurs certifiés au Québec et elle espère que ce nombre va augmenter parmi les Autochtones pour qu’ils puissent travailler directement dans les communautés.

Jeudi, Michael Lapsley se rendra auprès des détenus du Centre de guérison Waseskun, dans Lanaudière, avant de s’envoler pour la première fois au Nunavik, à l’invitation d’organismes inuit actifs dans le domaine de la santé.

La soirée s’est terminée par des danses proposées par un couple, Owen Mayo et Kwena Bellemare-Boivin. Lui est Mohawk, elle est Atikamekw, et tous deux considèrent la musique et la danse comme un moyen de guérison.

Kwena Bellemare-Boivin a dansé dans une robe cousue de grelots utilisée dans des processus de guérison traditionnels.

Les participants se sont ensuite joints à eux pour une danse collective en cercle.

Tom Dearhouse a conclu la soirée en faisant circuler une longue pipe dont chaque membre de l’assistance a dû se saisir pour formuler un mot résumant la soirée. Il a ensuite chanté deux chansons, accompagné de son tambour.

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