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Une illustration de Marie-Chantal Perron sur un fond mauve, où est écrit le mot Solo en arrière-plan.

Marie-Chantal Perron - La jeune Marie rêve encore

« C’est en grande partie grâce à son amour immense pour ce métier si j’exerce toujours, à plus de 50 ans, cette job volage avec une intarissable passion. »

Signé par Marie-Chantal Perron, pour Solo

L'autrice est comédienne et couturière.

Ne la cherchez pas parmi mes amis Facebook, impossible de la suivre sur Instagram et elle ne se dandine pas à l’écran de votre téléphone comme les vedettes de TikTok. Mais la connaissant, elle aurait probablement battu le record du nombre de suiveux voulant l’imiter.

Depuis des lustres, sa voix d'or n'ensorcelle plus les abonnés des grands théâtres et son nom n'apparaît pas au générique de nos séries dramatiques. Impossible de la voir à Tout le monde en parle énumérer fièrement ses nombreux exploits féministes qui pulvérisent des plafonds de verre.

Cette femme d’exception, je ne l’ai jamais rencontrée, ni même vu jouer, et encore moins croisée, parce qu’elle est décédée en 1923, il y a de cela 100 ans.

Ce modèle puissant, cette source d’inspiration, se nomme Sarah Bernhardt.

Marie-Chantal Perron feuillette un livre illustré. Sur la photo, la page montre une photo en noir et blanc de Sarah Bernhardt avec un voile blanc sur la tête.

Sarah Bernhardt a été la grande inspiration de Marie-Chantal Perron.

Photo : Denis Wong

J’ai 15 ans le jour où ma mère m’offre un livre sur la vie de ce monstre sacré dans l’intention d’ajouter une goutte de carburant sur mon esprit créatif en pleine ébullition. Elle s’assure que j’accumule sur les rayons de ma bibliothèque des bouquins de nombreux modèles féminins, libres de corps et d’esprit. Ces exemples de femmes, couronnées d’une destinée fabuleuse, me permettent d’imaginer ce genre de vie possible pour moi aussi.

Actrice, tragédienne française et superstar de son époque, Sarah Bernhardt incarne de la tête aux pieds la définition de ce que je veux devenir. Elle mène sa vie comme bon lui semble, à une époque où la gent masculine a le très, très gros boutte du bâton. Malgré son physique qui ne s’apparente pas à celui des canons de beauté, elle interprète les rôles de Cléopâtre, de Phèdre et de Médée, pour ne nommer que ceux-là. En impératrice du théâtre, elle pousse l’audace en s’attaquant au répertoire des grands personnages masculins de la littérature, tels que Lorenzaccio, L’Aiglon et Hamlet!

Toutefois, ce monstre sacré ne se contente pas d’alimenter la braise lumineuse de mon imaginaire d’adolescente; elle y crisse carrément le feu, comme un bidon gaz de quatre litres déversé sur mon désir le plus profond de devenir une actrice.

Je suis au cœur de l'adolescence et je me crois dur comme fer. Je veux être Sarah Bernhardt, je veux marcher dans son sillage. Je veux être une actrice coiffée d’une auréole légendaire, dont on parlera encore un siècle après sa mort. Rien de moins!

À mon collège, j’écris et dirige plusieurs spectacles, où j’interprète le premier rôle (évidemment!). Mes parents, les religieuses et les enseignants, à défaut de pouvoir me féliciter pour mes exploits scolaires, m’encouragent en m’accordant des permissions spéciales et l’espace possible pour chacune de mes réalisations artistiques.

Monique Leyrac à <i>Faut voir ça</i> en 1979.

Monique Leyrac en 1979.

Photo : Radio-Canada / Jean-Pierre Karsenty

En 1982, coup de théâtre : le Théâtre du Nouveau Monde (TNM) monte Divine Sarah. J’assiste à la pièce, complètement en transe, hypnotisée par l’immense talent de madame Monique Leyrac. Sur le trottoir, à ma sortie du spectacle, je pleure, profondément bouleversée par cette soirée inoubliable avec la peur au ventre de ne pas être à la hauteur.

En jeune idéaliste, je veux rentrer à l’École nationale de théâtre, je veux moi aussi devenir une Actrice avec un grand A et, un jour, j’enflammerai moi aussi les planches du TNM en interprétant la légendaire Sarah Bernhardt!

D’ici là, armée de la patience d’un écureuil, je piétinerai le banal de ma vie de banlieue, comme une pouliche sur le point de s’éjecter de son box pour galoper dans une vaste et vallonneuse prairie.

En 1985, Sarah et moi faisons notre entrée à l’École nationale. Mon immersion à l’école de théâtre entraîne des bouleversements majeurs et de nombreuses prises de conscience. Mon premier choc, aussi pointu qu’un dard d’abeille, pète ma balloune d’Actrice avec un grand A : je suis cernée par un essaim de jeunes actrices toutes plus belles et talentueuses que moi. Je ne suis pas celle que je croyais, et lorsque je prononce le nom de ma plus grande inspiration devant mes professeurs ou camarades de classe, tous me font un léger sourire attendri.

Je me sens ringarde aux yeux de ma nouvelle fratrie, admirative d’idoles beaucoup plus contemporaines. Je renonce à cette amie d’enfance en l’abandonnant sur le pas des grandes portes de cette prestigieuse école, jusqu’à l’oublier complètement.

Marie-Chantal est adossée au cadre d'une fenêtre, chez elle, et regarde la caméra.

Marie-Chantal Perron se remémore sa carrière dans un texte personnel.

Photo : Denis Wong

Monter dans l'autobus

Pendant quatre ans, je travaille à parfaire mon art. Je souhaite de toutes mes forces devenir une membre active de cette communauté composée d’artistes exceptionnels, de créateurs inspirants, d’angoissés attendrissants et d’ego démesurés qui carburent parfois aux agissements toxiques, mais vivent tous avec la hantise au ventre d’être relégués aux oubliettes.

Une fois que je suis diplômée de l’École nationale, les plaques tectoniques de mon imaginaire romantique disparaissent dans les profondeurs des plages horaires agitées de mon agenda.

J'exerce à temps plein une job fabuleuse avec ses hauts et ses bas. Je célèbre mes bons coups entourée d’une famille de plus en plus grande et je m’entraîne à rebondir sur mes déceptions comme une enfant sur son trampoline.

Désormais, je fais partie des usagers qui voyagent à bord de l’autobus du show business, conduit par un chauffeur instable que je surnommerai Oscar.

Oscar file sur la voie accidentée de la réussite. Il stoppe son véhicule quand ça fait son affaire. Il peut modifier sa trajectoire du jour au lendemain, sans préavis ou explication. Sur son trente-six, il arrête son bolide en klaxonnant avec le sourire de l’employé modèle, sans justifier une seconde son absence des derniers jours, des derniers mois ou même des dernières années.

Je souris à ce chauffeur pas fiable, qui me laisse gravir les marches de son véhicule toujours plein à craquer de touristes, d’habitués, d’abonnés ou d’indélogeables.

There is no business like show business!

Marie-Chantal Perron est accoudée sur le dossier d'un canapé et regarde au loin en souriant.

Marie-Chantal Perron à la maison.

Photo : Denis Wong

Le rêve oublié

2015. Je lis tranquillement la section des Arts dans La Presse+. Le titre d’un article me gifle de plein fouet : Anne-Marie Cadieux incarnera Sarah Bernhardt au TNM.

Reléguée aux oubliettes de mes pensées, Sarah, ma divine amie, resurgit en me faisant un finger des profondeurs de son purgatoire.

À cet instant, l’un des plus grands rêves de l’adolescente Marie se fait aspirer par le vortex de l’infini trou noir des désirs perdus et égarés. Même si je sais qu’Anne-Marie incarnera ce rôle avec tout le sublime qu’on lui connaît, je demeure cette fois sans élan pour me propulser hors de la zone des déceptions, et sans mot pour me raisonner, me consoler.

Après un temps – qui s'étire comme un élastique éventé – à regarder le plafond de ma chambre, c’est l’infatigable jeune Marie qui me ramène à l’ordre en me chuchotant à l’oreille : Va marcher, va coudre une jupe, va écrire… mais fais quelque chose. On ne passera pas le reste de nos jours là-dessus!   Elle ne s’enlise pas à pleurer sur notre sort, elle me pousse dans le dos avec l’énergie d’un vent soufflant de toutes ses forces dans le ventre bombé d’une voile de bateau.

Marie-Chantal observe l'affiche, de style art nouveau.

Une reproduction d'une oeuvre du peintre tchèque Alfons Mucha, montrant Sarah Bernhardt sous les traits de Hamlet, occupe toujours une place de choix dans l'atelier de Marie-Chantal.

Photo : Denis Wong

C’est en grande partie grâce à son amour immense pour ce métier si j’exerce toujours, à plus de 50 ans, cette job volage avec une intarissable passion. Dans 100 ans, je serai morte et enterrée. Mais qui sait? Mon passage sur Terre, sèmera peut-être une Rose avec un grand R dans l’esprit fertile d’une visionnaire des années 2000. 

There is no business like show business!

Illustration d'en-tête par Sophie Leclerc, à partir d'une photo de Denis Wong